L’îlot Saint-Michel est l’ensemble de bâtiments modernes que l’on voit dans le fond à droite de la photo ci-dessus, prise en 2003 pendant la construction des galeries Saint-Lambert. Édifié à l’ouest de la place Saint-Lambert, inauguré en septembre 1999, le complexe comporte des commerces, des bureaux et des logements.
À l’origine du projet
Dans les années 1960, responsables politiques et techniciens s’accordent pour adapter le centre de Liège à la circulation automobile. Le plan Lejeune* est adopté en 1968. Il prévoit de transformer la place Saint-Lambert en carrefour de voies rapides, ainsi que de créer en sous-sol une importante gare des bus et deux mille places de parking.
* Jean Lejeune, échevin des travaux publics. Historien, il est néanmoins partisan du « tout à l’automobile », influencé par les idées du groupe architectural l’Équerre.
Le plan d’aménagement suppose de nombreuses démolitions. Concernant le sujet de cet article, c’est presque tout le quartier situé entre la place Saint-Lambert et la rue Haute-Sauvenière qui va disparaître dans le courant des années 1970 (à gauche du trait rouge sur la carte postale qui suit) :

La place Saint-Lambert et ses alentours au début des années 1970 ▲ et en 2004 ▼

L’ampleur des destructions en 1979 ▲ et ce que l’endroit est devenu en 2004 ▼

Les difficultés financières, les désaccords politiques, ainsi que le mécontentement des défenseurs du patrimoine, des commerçants et des habitants en général, vont bloquer longtemps les projets de reconstruction.
Divers projets se succèdent en vain jusqu’en 1984, quand l’architecte Claude Strebelle* se voit officiellement investi de la mission de redessiner complètement la configuration du centre-ville, en tenant compte de tous les acteurs concernés. En 1985, il réalise un premier schéma directeur non contraignant, qui rompt avec les idées précédentes, et qui aboutira, au fil des années (il sera adopté en 1988), à ce qui existe aujourd’hui.
* Claude Strebelle (Bruxelles 1917 – Liège 2010) a aussi été, dans les années 1970, l’architecte coordinateur qui a dirigé l’implantation de l’université de Liège dans le domaine du Sart-Tilman.
Le chantier de la place Saint-Lambert vers 1980. Une partie de tout ce béton enfoui inutilement (il était initialement question d’une importante gare des bus) sera récupéré pour devenir le parking Saint-Lambert, situé sous l’actuel îlot Saint-Michel.
La place Saint-Lambert en 1992. Il y a presque deux décennies qu’a commencé la « saga » de la place-Lambert !
En 1994, un appel d’offres est lancé pour l’aménagement de ce terrain en friche urbaine depuis des années. C’est le groupe immobilier CODIC* qui remporte le marché en 1996 et débute le chantier en octobre 1997.
* Également maître d’ouvrage du centre commercial Belle-Île.

Codic choisit de développer quatre bâtiments différents, construits autour de voiries piétonnes, confiés à divers bureaux d’architecture (Bruno Albert, François Lemaire, Philippe Gérard, Bernard Herbecq, Quang Tuan Linh) sous la houlette de l’architecte coordonnateur Claude Strebelle. L’aménagement des jardins-terrasses est confié à l’architecte-paysagiste Jean-Noël Capart. Le maître de l’ouvrage fait appel aux entrepreneurs Galère et Wust.
Voici une série de photos du chantier de l’îlot Saint-Michel en 1998 :
Le chantier de l’îlot Saint-Michel vu depuis la rue Clémenceau.
L’îlot Saint-Michel tout neuf en décembre 2000, vu depuis le dernier étage de l’ancien Grand Bazar de la place Saint-Lambert.
Nous verrons plus loin que l’appellation « Saint-Michel » trouve son origine dans l’histoire du quartier. En avril 2011 pourtant, l’endroit est rebaptisé » « Espace SainMichel ». « Sain » sans « t » : il ne s’agit évidemment pas d’une faute de frappe, mais d’une allusion à la santé, pour lancer un projet original : offrir au consommateur une façon différente et agréable de faire son shopping, dans « un espace respectueux de l’environnement où l’accent est mis à différents niveaux pour le bien-être de tous ».

Îlot St-Michel ▲ et espace sainmichel ▼


En décembre 2017, l’endroit est à nouveau rebaptisé : « L’Îlot » tout court.
« L’îlot Shopping », annonce la « home page » du site Internet de l’espace commercial !
Adieu le souvenir de l’ancien quartier Saint-Michel !

Les rues piétonnes de l’îlot
1 : la rue Saint-Michel / 2 : la place Saint-Michel / 3 : la rue de la Populaire / 4 : la rue de l’Official.
Ces appellations font référence à des voiries ou bâtiments aujourd’hui disparus.
1 et 2. La rue et la place Saint-Michel
Découvrons les lieux avant les démolitions qui ont caractérisé les années 1970 (la flèche désigne l’ancienne place Saint-Michel) :

La place Saint-Lambert et la place du Maréchal Foch dans les années 1950. Tout l’espace au-delà du trait rouge est aujourd’hui occupé par l’îlot Saint-Michel. À la pointe de la flèche, se trouve la rue Joffre qui existe toujours.
Vous trouverez davantage de renseignements sur la place Foch (anciennement place Verte) en cliquant ICI.
Dans le cadre rouge, la rue Joffre au début des années 1960, avec l’équivalent en 2007. Dans le cadre bleu : la rue de l’Official, dont nous reparlerons aussi plus loin.

Le café « Les Arcades », à l’angle de la rue de l’Official et de la rue Saint-Michel, à l’aube des années 1960. La DKW descend de la place Saint-Michel.
On accède aussi à la place Saint-Michel en empruntant la rue Haute-Sauvenière.
La place Saint-Michel dans les années 1960.
Selon le chroniqueur médiéval Jean d’Outremeuse*, un château Saint-Michel aurait existé dès le VIIIe siècle sur la colline où se trouvent la rue et la collégiale Sainte-Croix. Une chapelle, en ses murs, consacrée à l’archange-chevalier**, aurait donné son nom à l’édifice.
* Chroniqueur liégeois du XIVe siècle, connu pour son imagination débordante.
** Le prince des anges qui a terrassé le dragon (Satan).
En réalité, le culte de Saint-Michel est très répandu à Liège au Moyen Âge, et une église paroissiale est érigée en Haute-Sauvenière au début du XIe siècle. On la voit ci-dessous (désignée par la flèche) sur un fragment de la gravure de Milheuser (1649) :

Modifiée à plusieurs reprises, cette église est réédifiée au début du XVIIIe siècle. Elle présente alors une forme hexagonale, comme le montre le document ci-dessous datant de 1720 :

On sait le sort réservé aux bâtiments religieux à la suite des événements révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle. L’église Saint-Michel est désaffectée dès 1801, servant notamment d’atelier de carrosserie. Vendue en 1824, elle est démolie peu de temps après. Le terrain devenu libre finit par appartenir à la famille Desoër de Solières, propriétaire aussi de l’immeuble Renaissance italienne situé à l’angle de la rue Haute Sauvenière.
Construit au milieu du XVIe siècle, l’hôtel Desoër de Solières porte en fait le nom de la famille qui l’a possédé au XIXe siècle. La photo ci-dessus nous le montre au début du XXe siècle, avant qu’il ne soit vendu en 1919 à un particulier qui le transforme en maison de commerce.
Ci-dessous, une enfilage de trois photos qui constituent une vue panoramique de la place Saint-Michel dans les années 1950 (agrandissez l’image en cliquant dessus) :


La place Saint-Michel en 1963. Remarquez le cinéma Caméo (ouvert en octobre 1954, il deviendra le Clichy en 1973, lequel fermera en 1976), où débute la rue Saint-Michel qui descend vers la rue de l’Official.
Au cours des années 1970, le côté occidental de la place Saint-Lambert est dévasté par les démolitions dont nous avons parlé plus haut.
L’hôtel Desoër de Solières en 1978, complètement abandonné.
1981. Le quartier Saint-Michel et la place Foch ont disparu, et cette friche urbaine va servir de parking pendant une quinzaine d’années. À droite de l’hôtel Desoër, l’hôtel de Bocholtz* vient d’être restauré pendant une dizaine d’années, à la suite de son acquisition en 1967 par le groupe Paribas.
* Autre demeure patricienne de style Renaissance, aménagée du milieu du XVIe siècle par Arnold de Bocholtz, chanoine de la cathédrale de Liège. Le bâtiment a été acheté en 2013 par François Fornieri, patron de la firme pharmaceutique Mithra, dans le dessein d’en faire un « centre d’émulation pour le monde culturel, politique et scientifique ».
L’hôtel de Bocholtz en 1980 (Paribas) ▲ et 2007 (Dexia)▼

Au milieu des années 1980, une aile de l’hôtel Desoër de Solières est squattée par le centre d’expression artistique « La Courte Échelle », à la recherche de locaux. C’est la Communauté française qui est alors propriétaire des lieux, mais ceux-ci restent à l’abandon, faute de moyens financiers pour les restaurer.
En septembre 1995, le bâtiment est fortement endommagé par un incendie. Propriété depuis peu de la Région wallonne, il fait l’objet de travaux d’urgence pour l’empêcher de s’effondrer partiellement, puis il faut attendre 2001 pour que débute une réelle restauration, selon le projet élaboré par le bureau d’architecture Philippe Greisch.
La rue Haute-Sauvenière à la fin des années 1990, avec l’hôtel Desoër en attente de restauration.
Le chantier de restauration de l’hôtel Desoër en mars 2002.
L’inauguration en mai 2003. L’architecte a réussi à conserver la façade d’origine et lui a ajouté une audacieuse extension contemporaine.
Ci-dessous, deux photos de l’actuelle place Saint-Michel (2005 et 2007). L’hôtel Desoër abrite désormais un Espace Wallonie, centre d’accueil, d’information et de culture :


Quant à la rue Saint-Michel actuelle (dont le tracé ne correspond plus à celui d’antan), elle constitue l’artère principale du complexe, reliant la place Saint-Lambert à la rue Haute Sauvenière. La voici en 1999, puis en 2005 :


3. La rue de la Populaire

La rue de la Populaire vue depuis la place de la République Française▲ et depuis l’intérieur de l’îlot Saint-Michel ▼

Cette voirie ne rappelle pas une rue d’autrefois, mais un bâtiment emblématique de l’ancienne place du Maréchal Foch (appelée place Verte avant 1919, voir l’article consacré spécifiquement à ce sujet).
Ci-dessus, la place Verte à l’aube du XXe siècle. L’immeuble qui arbore un drapeau noir est La Populaire, maison du peuple et siège du POB (parti ouvrir belge, ancêtre du PS, le parti socialiste). Ci-dessous, le même endroit de nos jours :

La société coopérative La Populaire est fondée en 1887. Le 1er mai 1894 (jour symbolique), elle s’installe définitivement place Verte, dans l’ancien hôtel de Méan* existant depuis 1662. Elle comporte un café, une salle de réunion et un magasin où « les travailleurs socialistes peuvent se fournir en denrées alimentaires aux meilleures conditions ». En 1898 , l’architecte Paul Tombeur réaménage les lieux et y ajoute une vaste salle des fêtes.
* Ironie du sort, le parti du peuple établit son siège dans l’immeuble d’une des familles les plus aristocratiques de l’Ancien Régime (dont est même issu le dernier prince-évêque François-Antoine-Marie-Constantin de Méan).
À gauche du document ci-dessus, on découvre l’immeuble de Méan avant l’installation de la coopérative La Populaire, et même avant les transformations dues à l’architecte Paul Tombeur. Il est mitoyen d’un élégant café-restaurant appelé Au Phare (inauguré en 1891, avec une lanterne à feu tournant située sur le toit).
Le 3 juin 1912, La Populaire sert de refuge à des manifestants qui revendiquent le suffrage universel. La gendarmerie intervient et ouvre le feu. Le bilan du drame est lourd : quatre morts (trois militants socialistes et un enfant) et une vingtaine de blessés ! Les petits ronds blancs, sur la carte postale ci-dessus, sont les impacts des balles tirées par la maréchaussée.
Après la première guerre mondiale (la place Verte est devenue la place du Maréchal Foch), l’histoire de La Populaire (la flèche) se confond avec celle de l’Union coopérative de Liège, qui acquiert le Grand Hôtel (l’imposant immeuble blanc à l’angle de la place Saint-Lambert), pour en faire le siège de ses magasins dès 1923.
Carte des années 1930, avec l’ancien Grand Hôtel devenu les Grands Magasins de l’Union coopérative, lesquels rivalisent « avec les grandes enseignes bourgeoises situées en face ».
La Populaire pendant la Question royale, les socialistes prônant de voter « non » lors de la consultation populaire du 12 mars 1950, organisée par le gouvernement avant de se prononcer sur le retour au pouvoir du roi Léopold III.
La Populaire au début des années 1960, avec son café-restaurant proposant des prix démocratiques. À la fin de la décennie précédente, la coopérative a acquis le café Au Phare et l’a remplacé par un immeuble moderne qui complète les Grands Magasins établis dans l’ancien Grand Hôtel.
Dans les années 1960, les Grands Magasins de l’Union coopérative ont d’ailleurs adopté le nom de Phare. En couleurs sur la gauche de la carte postale ci-dessous :
À remarquer « l’homme au bouclier » sur le toit de l’immeuble, publicité pour la Prévoyance sociale, société coopératives d’assurances créée en 1907.
La Populaire et le Phare en 1972, à la veille d’être démolis dans le cadre des délires urbanistiques de cette décennie.
La Populaire a été détruite en 1974. La façade a été démontée pierre par pierre, et tous ses éléments sont conservés dans un entrepôt communal, en attente d’une hypothétique reconstruction !
La démolition du Phare vers 1975.
Fin des années 1970 ▲ et en 2006 ▼

4. La rue de l’Official
L’actuelle rue de l’Official dans l’îlot Saint-Michel. Dans la fond, on aperçoit le chantier des extensions du palais de justice.
La voici dans l’autre sens, prolongée au-delà des escaliers par la rue de la Populaire.

Rappelons que la rue de l’Official, à l’origine, reliait la place Verte à la place du Théâtre (toujours appelée place du Spectacle sur ce plan de 1870).
Dans le fond à droite, rue de l’Official (carte postale du tout début du XXe siècle), on distingue l’inscription « BAINS ST-MICHEL » (voir aussi sur le plan de 1870, année où cet établissement sanitaire a été ouvert). C’est dans un immeuble à proximité qu’était établi le siège de la Gazette de Liège, là où Georges Simenon, à seize ans à peine, a été engagé en 1919 comme journaliste dans la rubrique « chiens écrasés ».
Ci-dessous, le même endroit en 1974, juste avant les démolitions qui vont marquer la suite de cette décennie :

Quelle est l’origine de l’appellation « Official » ?
Sous l’Ancien Régime, ce mot désigne un magistrat ecclésiastique ainsi que le tribunal relevant de sa juridiction. Replongeons-nous au milieu du XVIIe siècle grâce à la gravure de Julius Milheuser :
1 : le bras de la Meuse devenu le boulevard de la Sauvenière / 2 : le pont d’Île / 3 : la place aux Chevaux (actuelle place de la République Française) / 4 : la place Verte / 5 : la collégiale Sainte-Croix / 6 : la collégiale Saint-Pierre (disparue) / 7 : la cathédrale Saint-Lambert (détruite, emplacement de l’actuelle place Saint-Lambert) / 8 : le palais des princes-évêques.
Les bâtiments compris entre la place aux Chevaux et la place Verte, les voici reproduits par le dessinateur Alfred Ista :
À l’avant-plan, il s’agit du séminaire épiscopal établi là en 1592 à l’emplacement de l’hospice Saint-Mathieu, dont l’église a été reconstruite en 1523. Le tribunal religieux de l’Official, lui, est installé dans le vaste hôtel avec tours et cour à arcades. À cette époque, la communication entre la rue Saint-Michel et la place aux Chevaux ne se fait que par un passage voûté dont on voit l’arvau sur la gauche du document, dans la façade d’un hôtel seigneurial.
La place de la République Française en 2006. Le bâtiment de la Société littéraire, construit en 1787 (architectes : Jacques Barthélemy et François Barthélemy Renoz, père et fils), se situe grosso modo à l’emplacement de l’ancienne église Saint-Mathieu.

La rue de l’Official vue depuis la place Foch en 1961 ▲ et 1963 ▼


La station service de la rue de l’Official en 1963.

La place Foch et la rue de l’Official (à droite) en 1966.

Rue de l’Official vue en 1961 depuis la place de la République Française (au pied de la rue Haute Sauvenière).

La place de la République Française en 1976. C’est derrière les arbres qu’aboutit la rue de l’Official. Le building a été construit vers 1962.

La place de la République Française en 1963. À gauche : la rue de l’Official en direction de la place Saint-Lambert. Le bâtiment désigné par la flèche a été remplacé au début des années 1980 par celui qui abrite de nos jours le Quick et des services de la province. Tous les autres, de part et d’autre de la rue de l’Official ont disparu, englobé dans l’actuel îlot Saint-Michel.
La flèche rouge désigne la rue de l’Official débouchant sur la place de la République Française (photo prise en 1969 depuis le toit du cinéma Carrefour).
1977. Il ne subsiste que le « côté SARMA » de la rue de l’Official. Ce bloc d’immeubles disparaîtra en 1981-82.
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Toujours aussi passionnant!
merci de nous faire profiter de votre érudition et de tous ces fabuleux documents!
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Bonjour, magnifique histoire de la place et ses alentours. Merci
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Super intéressant!
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Quel travail magnifique !
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Quel travail extraordinaire et quels souvenirs d’enfance et d’adolescence !!!
félicitations !!
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Bonsoir, Monsieur ,bravo pour tout ce travail . Liège n’ est plus que l’ ombre d’ elle mêmes , la destruction continue j’ en ai les larmes aux yeux … Quand la nostalgie me submerge … Encore un grand Merci,et bonne continuation .
AN : J ai fait en sorte qu il ni ai pas de parking payant sur l’ancien emplacement de la prison st Léonard ,une petite contribution pour cette ville qui était Magnifique .
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