La rue des Guillemins vers 1910. À l’angle de l’avenue Blonden, le bistrot s’appelle le café de la Belle Vue. Serait-ce celle que les clients peuvent admirer depuis la terrasse de l’établissement ? Celle que vous découvrez sur la photo qui suit, avec le parc d’Avroy et l’avenue Rogier, quartier somptueux conçu une trentaine d’années plus tôt par Hubert Guillaume Blonden, directeur des travaux publics de la ville de Liège :
Voici l’équivalent en 2007 des deux cartes postales anciennes :
L’avenue Rogier porte le nom du célèbre avocat liégeois qui a joué un rôle essentiel lors de l’indépendance de la Belgique en 1830 :
Réalisé en 1878 par le peintre liégeois Charles Soubre (1854-1889, professeur à l’académie des Beaux-Arts), ce tableau représente le départ pour Bruxelles, en 1830, des volontaires liégeois emmenés par Charles Rogier. On reconnaît, à l’arrière-plan, les colonnes de la première cour du palais de justice.
HISTORIQUE
Découvrons les lieux tels qu’ils étaient en 1861 :
1. La rue de la Station (rue des Guillemins dès 1863) / 2. L’avenue d’Avroy (boulevard d’Avroy dès 1900) / 3. Le bassin de Commerce, vaste plan d’eau de quatre hectares servant de port fluvial. L’étang du parc d’Avroy en est une réminiscence / 4. Le chenal d’accès au bassin de Commerce, devenu l’avenue Blonden / 5. L’île de Commerce, terrain vague promis en vain à un grand avenir économique / 6. Le chenal d’accès au bassin de Commerce, devenu le boulevard Piercot / 7. L’église Saint-Jacques / 8. Le Grand Séminaire et l’Évêché / 9. Le lieu-dit Paradis / 10. Le cours de la Meuse, rectifié depuis les travaux gigantesques de 1853-63, qui ont aussi abouti à la création du bassin de Commerce et au creusement de la Dérivation / 11. Le pont de Commerce (actuel pont Albert 1) / 12. Le jardin d’Acclimatation (Boverie) / 13. La Dérivation de la Meuse, canal creusé en remplacement de divers bras de la Meuse et de l’Ourthe.
La flèche indique le sens du regard pour découvrir le bassin de Commerce tel qu’il est représenté sur la peinture ci-dessous, qui date de 1872 :
Ce bassin s’avère très vite mal adapté aux besoins des bateliers, contraints à de nombreuses manœuvres difficiles. Les bourgeois d’Avroy, en outre, se plaignent de l’aspect inesthétique de cette zone aux eaux sales le long de leur promenade favorite. Quant à l’île de Commerce au nom prometteur, elle reste inexploitée, les débats s’éternisant à propos de son affectation définitive.
Plusieurs plans urbanistiques sont proposés pour réaménager les lieux. En 1868, les autorités communales adoptent celui de leur directeur des travaux publics, Hubert Guillaume Blonden, qui prévoit la suppression du bassin inadapté et le rattachement de l’île à la terre ferme, dans l’intention d’établir à ces endroits un grand parc public et un quartier résidentiel bourgeois. Diverses tracasseries administratives, financières et judiciaires entraînent d’importants retards : le projet de Blonden, remanié, ne sera réalisé qu’à partir de 1876.
Cette illustration provient du journal satirique « Le rasoir » (feuille liégeoise ayant publié de nombreuses caricatures politiques de 1859 à 1889). Évoquant la statue de Charlemagne sise en Avroy, elle se moque de Blonden qui agit en maître incontesté, menant le conseil communal par le bout du nez.
Le comblement du bassin de Commerce est terminé en 1879. L’espace récupéré est utilisé pour ouvrir au public un vaste parc dessiné par le paysagiste allemand Édouard Keilig, déjà sollicité à Bruxelles, dès 1861, pour l’aménagement du bois de la Cambre.
Au cœur du nouveau quartier luxueux prévu par Blonden, que longe l’avenue Rogier, se trouvent les Terrasses, squares aménagés en jardins classiques autour de deux bassins d’eau. Ce sujet est traité dans un autre article.
Le boulevard d’Avroy, le parc d’Avroy et l’avenue Rogier à la fin du XIXe siècle▲ et en 2009 ▼
En 1887.
L’avenue Rogier est incontestablement un quartier huppé. L’ensemble qu’elle constitue avec les boulevards d’Avroy et de la Sauvenière rivalise avec les Champs-Élysées de Paris, eux aussi en plein essor à cette époque. Hubert Guillaume Blonden est fier de son œuvre : les grands boulevards liégeois, depuis la place du Théâtre jusqu’au lieu-dit Paradis, sont plus longs que la célèbre avenue de la capitale française (2200 mètres contre 1910).
Avant 1904, avec les charrettes à tonneaux des services de l’arrosement (comprenez : les services de lavage des chaussées).
En 1900 ▲ et 2007 ▼
Pour rappel, le monument national à la Résistance a été inauguré en 1955.
En 1905, Liège célèbre le jubilé de l’indépendance du pays en même temps qu’elle vit à l’heure de l’Exposition universelle ; il est décidé, dans ces circonstances, d’ériger un mémorial Charles Rogier à l’extrémité du parc d’Avroy, lieu de passage incontournable quand on arrive de la gare des Guillemins.
Le monument et l’avenue Charles Rogier en 1906 ▲ et 2006 ▼
Ce groupe en bronze a été réalisé par l’artiste bruxellois Camille-Marc Sturbelle. Une anecdote : la sculpturale femme nue qui représente la Patrie aurait eu comme modèle une certaine Elvire, sœur de Henri Herd, mieux connu sous le pseudonyme de Constant-le-Marin, athlète impressionnant célèbre au tout début du XXe siècle pour ses victoires en lutte gréco-romaine.
La carte postale ci-dessus, émise à l’époque de l’Exposition universelle de 1905, met en valeur les « constructions modernes » de l’avenue Rogier et des Terrasses. Cinquante-cinq ans plus tard, les maisons de maître commencent à laisser la place à d’autre types d’immeubles à la mode :
Le même endroit en 2007 :
Ci-dessus, l’avenue Rogier a été photographiée depuis le carrefour avec le boulevard Piercot. La carte a été postée en 1909. Les vues qui suivent montrent le même endroit au début des années 1960 et en 2010 :
En 1930, la Belgique célèbre le centenaire de son indépendance en organisant une double exposition internationale, à Liège et à Anvers. À cette occasion, on réaménage le carrefour proche du monument Rogier. L’habitude d’une fontaine est restée, comme en témoignent les trois photos qui suivent, prises en 1959, 1962 et 1969 :
L’avenue Rogier en 1969, avant le creusement du tunnel routier Charlemagne.
La « trémie » Charlemagne vers 1975 (elle a été inauguée en 1971). À Liège, on ne dit pas « tunnel routier ».
Le tunnel routier en 1979.
Merci de partager ou de laisser un commentaire si vous avez apprécié cet article 😉
Un grand merci pour cette leçon d’histoire liégeoise !
J’aimeJ’aime
Merci pour ce beau voyage dans notre passé qui nous rappelle comment Liège était magnifique, apaisante, humaine.
J’aimeJ’aime