La situation actuelle de la place des Déportés et de l’esplanade Saint-Léonard (lien Bing Maps).
Cet emplacement est celui de l’ancien fossé défensif de Saint-Léonard, creusé au XIIIe siècle et alimenté en eau par la Meuse pour servir de douve* aux remparts nord de la cité**
* Cette pièce d’eau sert aussi de refuge pour bateaux lors des débâcles et forts débits du fleuve.
** Ces remparts sont aussi appelés le bastion des Walles, terme wallon issu du latin « vallum » qui désigne le terre-plein d’une fortification.
Cette gravure de Julius Milheuser (1649) nous permet de situer ce fossé (1), ainsi que les portes de Vivegnis (2), Saint-Léonard (3) et Maghin (4), les deux dernières équipées d’un pont-levis. En dehors de l’enceinte fortifiée, le faubourg Saint-Léonard a des aspects de village champêtre.
Primitivement, les ponts Saint-Léonard* et Maghin** sont donc deux ouvrages distincts appartenant au système défensif de la ville.
* Le quartier doit son nom à un ancien prieuré fondé au XIe siècle et consacré à ce saint.
** « Maghin » était jadis un prénom féminin avant de devenir un patronyme, probablement celui d’une famille locale.
Les remparts de Saint-Léonard en 1755. Le fossé apparaît encombré par des atterrissements.
À la fin du XVIIIe siècle, le fossé de Saint-Léonard est obstrué et en mauvais état. On commence à le combler, et les terrains sont concédés moyennant une faible redevance à des particuliers qui les transforment en jardins. Parmi les bénéficiaires, il y a notamment les habitants de la rue Sur les Fossés (devenue la rue Mathieu Laensbergh), lesquels profitent ainsi d’une parcelle en face de leur demeure.
En 1806, sous le régime français, le préfet du département de l’Ourthe, Charles Emmanuel Micoud d’Umons, envisage de faire curer les fossés pour y aménager un port aux houilles. Mais le projet n’aboutit pas, et le comblement se poursuit de plus belle.
Le plan ci-dessus nous transporte quelques années plus tard sous le régime hollandais (1815-1830). Le fossé est totalement remblayé, mais les remparts subsistent. La flèche désigne la porte Saint-Léonard, où se trouve la prison de Liège depuis 1738.
La porte Saint-Léonard en 1845, vue du côté faubourg. Les bâtiments de la prison se trouvent à droite (on n’en voit qu’une partie). Là où marche le personnage, se trouvait précédemment le pont franchissant le fossé défensif.
Plan des années 1860. Les remparts ont été démolis de 1840 à 1863, et une nouvelle prison (on en voit le quadrilatère entre les rues du Nord et Mathieu Laensberg) a été construite de 1847 à 1850, sur des terrains que la Ville a cédés à l’État. Remarquons que l’espace compris entre cette prison et la Meuse est appelé la place Maghin. Avant que cette appellation ne soit officialisée, le peuple avait pris l’habitude de dire « la place du pont Maghin », en souvenir de l’ancien pont-levis de la porte fortifiée de ce nom (le pont Maghin sur la Meuse n’existait pas encore).
▲ L’entrée, rue du Nord, de la prison néogothique Saint-Léonard, conçue par l’architecte bruxellois Joseph-Jonas Dumont. Cet établissement pénitentiaire a été inauguré en 1851 pour les hommes et en 1854 en ce qui concerne l’aile réservée aux femmes (les cartes postales nous reportent au tout début du XXe siècle) ▼
Le premier pont Saint-Léonard sur la Meuse
En décembre 1858, les entrepreneurs Claes et Flechet sollicitent la concession d’un pont sur la Meuse à la hauteur de la place Maghin, en remplacement d’un ancestral passage d’eau. Ils prennent la construction à leur charge, à condition que la Ville leur accorde de percevoir les droits de péage et aménage les quais de la rive droite, du pont des Arches à Dos Fanchon.
Étudiant le projet, Hubert-Guillaume Blonden, ingénieur en chef des travaux de la Ville, propose de décaler l’ouvrage légèrement en amont, dans l’axe de la rue du Nord (actuelle rue de la Résistance), que le prolongement du pont rejoindrait par une rampe en pente douce. Cette modification suppose la disparition de la caserne des pontonniers et de trois maisons de la rue Féronstrée, mais le but est de préserver la place Maghin.
Le plan qui suit, en date de 1860, préfigure la réalisation du projet avec les changements apportés par Blonden. Le conseil communal se montre favorable ; il est même envisagé de profiter de l’ occasion pour ouvrir de nouvelles rues dans les prés Saint-Denis :
Mais les exigences inconciliables des protagonistes finissent par aboutir à l’abandon du projet. En 1866, la Ville décide de se charger elle-même de la mise en œuvre du pont ; l’année suivante, le chantier est adjugé aux entrepreneurs Chèvremont et Piedbœuf, le premier pour les travaux de maçonnerie, le second pour la construction de la superstructure métallique.
Le pont Saint-Léonard (c’est son nom officiel même si la population l’appelle fréquemment le pont Maghin) est construit de septembre 1867 à juin 1869. Un péage* est établi pour permettre de rembourser l’emprunt que la Ville a dû contracter.
* Les droits de péage seront supprimés en 1883, quand l’État rachètera l’ouvrage.
Panorama à l’époque du premier pont Maghin sur la Meuse.
Les trois travées métalliques du premier pont Saint-Léonard sur la Meuse (1869-1928).
Carte postale affranchie en 1910.
Carte postale affranchie en 1914.
▲ La fabrique que l’on voit à l’arrière-plan (entre les deux piles du pont) est la linière de Saint-Léonard, érigée en 1828 par John Cockerill à l’emplacement de l’ancien couvent des Récollectines ▼
▲ Le pont Saint-Léonard vu du quai de Maestricht. Le palais Curtius (demeure Renaissance de l’industriel Jean de Corte au début du XVIIe siècle) est un musée archéologique à partir de 1909 ▼
Les activités portuaires le long du quai de Maestricht.
▲ Parties de pêche en amont du pont du Saint-Léonard ▼
▲ Début du XXe siècle et début des années 1960 ▼
De la place Maghin à la place des Déportés
Revenons à l’aube du XXe siècle et empruntons le pont en direction de la place Maghin.
Vue de 1905. À gauche, la rampe d’accès au pont. À l’arrière-plan, la prison. À droite, la place Maghin.
Pendant la démolition des remparts et la construction du pont sur la Meuse, la place n’a guère été entretenue, jonchée de décombres, matériaux et immondices. Elle a été déblayée en 1869, puis aménagée et arborée. Des platanes plantés en 1876 ne se sont pas développés et ont été remplacés par des ormes en 1890.
La rampe d’accès au pont à l’aube du XXe siècle.
Les bâtiments industriels sont ceux de la Société de Saint-Léonard, établie à l’emplacement d’un ancien couvent de Carmélites. Cette usine fabriquait de l’acier et des machines, dont des locomotives.
En 1906 ▲ et 1978 ▼
Le même endroit de nos jours.
La place Maghin au début du XXe siècle, avec vue sur le côté opposé à la rampe du pont. Les immeubles de droite se retrouvent sur la vue qui suit, carte postale affranchie en 1906 et illustrant le marché aux chevaux qui, à l’époque, se tient là hebdomadairement :
Pendant la première guerre mondiale, de nombreux ouvriers belges ont été déplacés en Allemagne. C’est en leur hommage que la place Maghin est rebaptisée la place des Déportés le 30 décembre 1918.
La place des Déportés et la prison Saint-Léonard pendant les inondations
de l’hiver 1925-26.
Le deuxième pont Maghin (ou Saint-Léonard)
Le pont endommagé en 1914 subit une restauration sommaire en 1921, mais il est rapidement décidé de le remplacer : son faible tirant d’air* entrave le passage des bateaux lors des fortes eaux, ainsi que la circulation des trams sur les quais.
* Le tirant d’air d’un pont est la hauteur disponible entre le tablier et le niveau de l’eau ou du sol.
▲ Le deuxième pont Maghin, ouvrage métallique réalisé par la société John Cockerill, est construit de 1928 à 1930 ▼
L’ouvrage comporte une arche centrale de 70 mètres et deux demi-arches de 36 mètres. Il est terminé pour l’Exposition internationale de 1930.
▲ Une passerelle provisoire est jetée sur la Meuse pendant le chantier de construction du deuxième pont Maghin ▼
Le deuxième pont Maghin sur une carte postale écrite en 1936.
Les ruines du pont après que l’armée belge ait fait sauter l’ouvrage le 11 mai 1940.
Le troisième pont Maghin (l’actuel)
Les ruines du deuxième pont Maghin ont été déblayées. La situation restera inchangée quelques années, le temps que la Ville* obtienne le prêt nécessaire pour financer la construction d’un nouvel ouvrage.
* À l’époque, la Ville est seule propriétaire du pont ; l’État n’est donc pas intervenu dans sa reconstruction. De nos jours, l’ouvrage a été repris par la Région wallonne (renseignements fournis par Jean-Géry Godeaux).
Plan de 1947, sans pont sur la Meuse à la hauteur de la rampe de la place des Déportés.
Photo aérienne que je daterais de 1949-50. Les deux repères désignent la prison Saint-Léonard (1) et la place des Déportés (2).
La construction du troisième pont Maghin est confiée aux entreprises Blaton-Aubert sous la direction de M. A. Joachim, chef du Service de la Voirie de la Ville de Liège. Il s’agira d’un ouvrage à trois arches en béton précontraint, garni de pierres de taille. Il sera ouvert à la circulation en décembre 1952.
▲ Le chantier du pont en 1951 ▼
▲ En 1962 ▼
Cette photo date probablement de 1980-81, si j’en crois le nettoyage intensif de la façade du musée Curtius, opération qui a eu lieu ces années-là. La prison Saint-Léonard (dont on aperçoit le mur d’enceinte sur la gauche du document) est en attente de démolition.
En août 2007, le pont est fermé à circulation pour un an. Il est urgent de le sécuriser à cause des dégâts causés par la corrosion. On profite de l’occasion pour remplacer l’éclairage et l’illuminer, ainsi que les berges, dans le cadre du Plan Lumière de la Ville.
La démolition de la prison Saint-Léonard
Les trois photos ci-dessus datent de 1976. À cette date, il y a déjà trois ans qu’a commencé à Lantin la construction d’un nouvel établissement pénitentiaire, destiné à remplacer la prison Saint-Léonard trop vétuste et non adaptée au monde carcéral moderne.
La prison de Lantin en cours de construction en 1977.
En juin 1979, quelque six mois avant le déménagement à Lantin*, les détenus profitent d’une grève des gardiens pour se mutiner. Il s’ensuit des évasions et d’importantes dégradations aux installations.
* La prison de Lantin a été officiellement inaugurée le 17 décembre 1979 et occupée précipitamment suite à la destruction par une mutinerie de la prison Saint-Léonard (source : http://justice.belgium.be/fr/themes_et_dossiers/prisons/prisons_belges/prisons/plus_d_infos/lantin).
La prison Saint-Léonard désaffectée ▲, à la veille de sa démolition en 1982-1983 ▼
Laissé longtemps en friche, le site de l’ancienne prison a fait l’objet en 1994 d’un concours de réhabilitation organisé par la Ville de Liège. Rénové jusqu’en 2001 par les soins d’architectes et de paysagistes liégeois, il est aujourd’hui un espace public comportant un terrain de sport, une zone verte et une vaste esplanade permettant d’accueillir divers événements à longueur d’année.
Ce plan d’eau rappellerait-il l’ancien fossé défensif qui servait de douve aux remparts nord de la ville ?
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Belle série de photos très intéressantes. Merci beaucoup au nom de tous les veux liégeois.
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Merci de nous révéler ce passé de façon claire et structurée. Les parallèles établis entre les différentes époques établissent un fil conducteur structurant de multiples informations éparses, floues
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J’apprécie particulièrement le travail réalisé. Merci Claude. Votre blog est une source inépuisable de renseignements fiables, et vérifiables.
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Bien que voisin de ce site (mes premières années rue Dos Fanchon ) je n’ai jamais connu cette Histoire de Saint Leonard . Très intéressant – Merci beaucoup .
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merci a vous , c est très intéressant
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Remarquable reportage qui m’a passionné. Commentaire de quelqu’un né fin 1947 rue du Nord à l’époque et qui n’a jamais quitté ce quartier.
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Je pense que la photo de la prison de Lantin est inversée.
Pour le reste, je vous félicite pour cet excellent travail.
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Magnifique documentation
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