L’église Saint-Jacques-le-Mineur et ses alentours

C’est en 1015 ou 1016 (selon les sources) que le prince-évêque Baldéric II, le successeur de Notger, décide de la fondation d’une abbaye en expiation du sang répandu lors de la bataille de Hœgaarden* ; il la dédie à saint Jacques le Mineur**.

* La bataille de Hoegaarden, en 1013, s’inscrit dans le cadre de la politique d’extension territorial du duché de Brabant au détriment de la principauté de Liège.
** Jacques d’Alphée est un Juif de Galilée qui fait partie des douze apôtres de Jésus. Il est appelé Jacques le Mineur pour le distinguer de Jacques de Zébédée, dit Jacques le Majeur, frère de l’apôtre Jean.

Au XIe siècle, le réseau hydrographique liégeois est très différent de ce qu’il est de nos jours. Provenant de l’actuelle avenue Blonden, la Meuse suit le boulevard d’Avroy et bifurque via le boulevard Piercot, tandis qu’un bras secondaire circonscrit le quartier de l’Isle. C’est à la pointe sud de cette île que se situe l’abbaye de Saint-Jacques, comme en témoigne ce plan dessiné par Eugène Polain :

Cliquez sur ce plan pour l’agrandir dans une nouvelle fenêtre.

 

Après une période d’inactivité à la suite de la mort de Baldéric en 1018, l’avancement des bâtiments claustraux permet l’installation de premiers moines bénédictins dès 1021, et l’église abbatiale est consacrée en 1030 par le prince-évêque Réginard. Le monastère sera complètement achevé en 1052.

https://www.fabrice-muller.be/sj/architecture-chrono/fondation.html

 

Ce dessin de l’architecte liégeois Camille Bourgault (1889-1962) donne une idée de l’église romane des débuts, construite dans le style de la collégiale Saint-Barthélemy. À noter qu’il ne s’agit déjà plus de l’avant-corps primitif, mais de celui, en grès houiller, qu’a fait ériger l’abbé Drogon dans la seconde moitié du XIIe siècle. Cette construction subsiste en partie de nos jours (la flèche sur la photo qui suit) ; elle a perdu ses deux tours, mais le clocheton central est encore visible :

Au XVI siècle, l’état lamentable de l’église nécessite la reconstruction du vaisseau central. Le chantier va durer de 1514 à 1538 ; il donnera naissance à un chef-d’œuvre de style gothique flamboyant. Le portail Renaissance, attribué à l’architecte Lambert Lombard*, sera ajouté en 1558.

* Lambert Lombard, né à Liège en 1505 ou en 1506 et mort dans la même ville en août 1566, est un artiste de la Renaissance, à la fois peintre, architecte, graveur, archéologue, collectionneur, numismate, mythographe, homme de lettres, historien de l’art et maître d’une académie de grande réputation (source : Wikipédia).

 

Voici des vues de Liège en 1574 et 1649 (avec une flèche désignant l’abbaye de Saint-Jacques). La première est l’œuvre du graveur et cartographe flamand Franz Hogenberg ; la seconde est due au Néerlandais Julius Milheuser :

▲ Cliquez sur chacune de ces gravures pour l’agrandir dans une nouvelle fenêtre ▼

 

▲ L’abbaye de Saint-Jacques en 1738, représentée par Remacle Le Loup ▼

Remarquons, sur la droite de la gravure ci-dessus, un moulin mû par un bief en provenance de la Meuse.

 

Ce plan de Gustave Ruhl nous présente les lieux en 1737. À l’angle des deux bras de la Meuse, une ouverture dans la Tour aux Lapins permet de dévier une partie des eaux dans l’enceinte de l’abbaye. Cette dérivation (en bleu sur le plan) est appelée le bief Saint-Jacques, ou encore la Rivelette. Elle a été aménagée dès le XIIe siècle pour actionner un moulin à blé*, puis, au XVIIIe, pour scier le marbre.

* À ne pas confondre avec le moulin Saint-Jacques situé sur le cours de la Meuse devenu le boulevard Piercot.

Cette reconstitution des remparts d’Avroy est l’œuvre en 1964 de Florent Ulrix*. Le document provient du site http://www.chokier.com. À la pointe méridionale de l’Île, là où se séparent les deux bras de la Meuse, la Tour aux Lapins est ainsi surnommée parce qu’elle aurait servi de refuge aux léporidés qu’élevaient les moines.. Derrière elle, le dessinateur a suggéré la présence de l’abbaye bénédictine Saint-Jacques.

* Auteur de l’ouvrage « Le rempart d’Avroy et la Tour aux Lapins à Liège », publié en 1965 (Bruxelles, service national des fouilles).

 

La rivière d’Avroy en 1740, représentée par Joseph Vuidar. À l’avant-plan, il s’agit du rivage des Augustins. Sur la rive droite, dominent les bâtiments de l’abbaye de Saint-Jacques. La flèche désigne l’arvau grillagé où s’engouffre la Rivelette. Ci-dessous, vous pouvez découvrir le même endroit en 1911, puis une soixantaine d’années plus tard :

 

En 1962, on démolit deux immeubles en vue de la construction de la résidence Orléans à l’angle des boulevards d’Avroy et Piercot. En creusant, on met à jour des vestiges de la Tour aux Lapins et la voûte qui couvrait la Rivelette.

 

Une nouvelle voûte vient d’être découverte en 2020 sur le chantier de la Résidence Asklépios, du côté de la rue Eugène Ysaye. Un autre vestige, probablement, de la Rivelette.

 

Le cours de la Meuse qui va devenir le boulevard Piercot, vu depuis l’actuel boulevard Frère-Orban. La flèche désigne le débouché de la Rivelette. Dans le cercle, il s’agit de l’église des Augustins (église du Saint-Sacrement).

 

L’abbaye Saint-Jacques au XVIIIe siècle (gravure de Johann Georg Bergmüller). À l’arrière-plan à droite, on distingue la rivière d’Avroy qui deviendra boulevard un siècle plus tard (les rangées d’arbres sur la vue qui suit) :

 

En 1785, le pape Pie VI accorde la sécularisation de l’abbaye, demandée par les religieux qui ont de plus en plus de réticences à respecter les règles de leur ordre monastique. L’église abbatiale devient une collégiale (la huitième de Liège) et les moines sont convertis en chanoines séculiers, au nombre de trente*, pour lesquels les bâtiments claustraux sont partiellement transformés en maisons, le reste étant démoli, loué ou vendu.

* Les vingt-cinq moines de Saint-Jacques auxquels on en ajoutera cinq issus de l’abbaye de Saint-Gilles, elle aussi sécularisée.

 

À la suite des événements révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle et de l’intégration de la principauté de Liège à la France, l’église est soustraite au culte en 1798 et sert même d’écurie. Le cloître, lui, est occupé par les armées républicaines.

Le splendide bâtiment gothique n’échappe à la vente publique et à la démolition que grâce au préfet de l’Ourthe Desmousseaux. Seule, une petite partie du mobilier est vendue. À la suite du Concordat de 1801, l’église finit, en 1803, par être érigée en paroissiale. Les cloîtres sont aménagés en habitations particulières.

L’église paroissiale est fortement délabrée. Le gouvernement hollandais, en 1818, fait procéder à diverses réparations pour empêcher l’édifice de s’écrouler. En 1832, le roi de Belgique Léopold Ier, grand partisan des arts, décrète la sauvegarde du bâtiment, qu’il vient de visiter. Une première restauration débute en 1833. Il y en aura d’autres tout au cours des XIXe et XXe siècles.

 

L’église et la place Saint-Jacques* vers 1835 et 1845. Le mur, à gauche, est celui d’un jardin, là où se dressait autrefois l’église paroissiale Saint-Remy, fondée vers 1040 par l’abbé de Saint-Jacques à l’usage des habitants qui étaient venus vivre près du monastère, l’église abbatiale étant réservée aux moines.

* Appelée autrefois place devant l’abbaye de Saint-Jacques.

 

L’église Saint-Remy en 1700, dessinée par J.J. Van den Berg (bibliothèque de l’université de Liège). En 1798, sous le Régime français, elle est vendue puis démolie. En 1844, une parcelle du terrain sera achetée par Charles Wethnall, rentier-propriétaire, qui y fera construire un hôtel particulier.

 

Dessin d’Auguste Deroy, 1885. On remarque une partie de l’hôtel Wethnall. Ce propriétaire, quand il a fait construire son immeuble quarante ans plus tôt, a cédé une large bande de terrain pour agrandir la place Saint-Jacques.

 

Carte postée en 1904. L’hôtel Wethnall a été racheté en 1896 par la famille Sepulchre. En 1908, l’industriel François Sepulchre y fonde l’Institut Saint-Jacques dans le but de donner aux jeunes filles les mêmes chances qu’aux garçons d’accéder aux études universitaires.

 

Autre carte postée en 1904.

 

Le portail en 1905.

 

Carte postale éditée à l’occasion de l’Exposition universelle de 1905.

 

Dans les années 1920.

 

En 1929, à la mort de son fondateur François Sepulchre, l’institut Saint-Jacques déménage rue des Prémontrés (avant de s’installer rue Darchis en 1954).

 

En 1946, l’ancien hôtel Wethnall est vendu à la Ville, qui va faire construire là le siège de son CPAS.

 

▲ La place Saint-Jacques au début des années 1960 ▼

 

Dans les années 1960.

 

En 1975.

 

En 1976, un an après l’inauguration de l’avenue Maurice Destenay (bourgmestre libéral de Liège de 1963 à sa mort en 1973), avenue que l’on voit à l’avant-plan.

 

Carte postée en 1995.

 

Vue aérienne actuelle, obtenue grâce à Google Maps.

 

Outre l’église, la place Saint-Jacques comporte deux bâtiments classés au patrimoine immobilier de Wallonie :

L’hôtel Baral

L’hôtel Baral au début des années 1970 (photo issue de l’inventaire du patrimoine immobilier de Wallonie).

Cette maison de maître édifiée en 1788 est devenue au XIXe siècle le presbytère de l’église Saint-Jacques. Elle tient son nom du chanoine qui l’a fait construire.

 

L’hôtel Warzée

http://lampspw.wallonie.be/dgo4/site_ipic/index.php/fiche/index?sortCol=2&sortDir=asc&start=0&nbElemPage=10&filtre=&codeInt=62063-INV-2015-01

Située en retrait au fond d’une petite cour fermée par des grilles, cette imposante demeure de style néoclassique a été édifiée vers 1780 pour les besoins de l’avocat Charles-Joseph Warzée. On l’appelle aussi la maison Tart, du nom de la famille qui l’a acquise en 1866.

Le bâtiment a été acheté en 2013 par le cabinet d’architectes P.HD, qui a entamé une campagne de restauration dès 2016.

 

La rue Eugène Ysaye

Au départ, cette rue est incorporée dans l’abbaye de Saint-Jacques ; elle ne sera accessible au public qu’après la sécularisation des lieux en 1785. Les habitations qui la bordent sont pour la plupart d’anciens bâtiments claustraux transformés en maisons séculières.

 

Ce plan date de 1843. Vous pouvez l’agrandir dans une nouvelle fenêtre en cliquant dessus. L’actuelle rue Eugène Ysaye s’appelle la rue Devant Saint-Jacques, elle s’arrête à l’encontre de la rue Derrière Saint-Jacques. En 1858, elle sera prolongée jusqu’au quai Cockerill, à travers la propriété du baron de Polesta. À cette époque, le bras principal de la Meuse, en provenance des actuels avenues Blonden et boulevards d’Avroy, coule à l’emplacement du boulevard Piercot.

 

Le quai d’Avroy vers 1850. Venant de l’actuel boulevard d’Avroy, la Meuse bifurque à droite vers l’actuel boulevard Piercot. La flèche désigne l’hôtel de la famille de Postesta, attenant à l’église Saint-Jacques.

 

En 1863, la rue Devant Saint-Jacques est simplifiée en rue Saint-Jacques, laquelle deviendra en 1933 la rue Eugène Ysaye*, deux ans après le décès du célèbre musicien.

* Eugène Auguste Ysaye (1858-1931), violoniste et compositeur liégeois.

 

Un immeuble de la rue Eugène Ysaye est classé dans l’inventaire du patrimoine immobilier wallon. En retrait derrière une cour masquée par un immeuble moderne, il s’agit d’une maison de style néo-classique, construite à la fin du XVIIIe siècle :

À gauche, il s’agit du chantier de la résidence Asklepios, en cours depuis 2019, et dont voici le projet final :

 

La place Émile Dupont

 

Le site est primitivement occupé par le cloître et autres dépendances de l’abbaye de Saint-Jacques. Des maisons claustrales ont leur jardin vers le cours principal de la Meuse (l’actuel boulevard Piercot) et la rivière d’Avroy (l’actuel boulevard du même nom).

En 1806, une salle de spectacle est installée dans le grenier d’un bâtiment attenant au transept sud de l’église. Elle est l’ancêtre du théâtre du Gymnase (voir cet autre article).

Ce théâtre est définitivement supprimé en 1866. Le bâtiment qui l’abrite est démoli en 1873, en même temps que le cloître et la salle capitulaire de l’ancienne abbaye. Il est question de tout raser du côté sud de l’église pour y créer une place publique avec la contribution financière des habitants. Une place qu’on baptisera du nom de Rouveroy*.

* En hommage à Frédéric Rouveroy (1771-1850), membre de la société de l’Émulation, poète et fabuliste.

Le square de la place Rouveroy est aménagé en 1879.

Le square sur une carte postale utilisée en 1903 ▲ et de nos jours ▼

 

Dans le cercle rouge tracé sur la carte postale ancienne, il s’agit d’un groupe statuaire en bronze, intitulé « Les abandonnés », œuvre du sculpteur belge Joseph Pollard qui représente deux enfants malheureux contraints à la mendicité.

 

Au départ, la statue reposait au centre d’une rocaille circulaire ; plus tard, le pourtour rocheux a été remplacé par un massif végétal.

Cette œuvre n’existe plus, elle a été volée en décembre 1999.

 

Le côté sud de l’église et le square au début du XXe siècle :

Carte colorisée postée en 1904.

 

Carte éditée à l’occasion de l’Exposition universelle de 1905.

 

En 1912.

 

Carte postée en 1921. En mars de l’année précédente, la place Rouveroy a été rebaptisée place Émile Dupont*, en hommage à cet homme politique liégeois et militant wallon (1834-1912).

* Avocat (et notamment conseil de la Ville de Liège), député de 1864 à 1890, sénateur de 1890 à sa mort, nommé ministre d’État en 1907.

 

Émile Dupont.

 

Sur ce dessin, l’immeuble tout à droite, à l’angle de la place et de la rue Rouveroy, est un hôtel où a vécu Émile Dupont. Voici le même endroit en 1962 :

 

La place Émile Dupont dans les années 1960.

 

▲ En 1962 ▼

La rue, à l’arrière-plan, est la rue Eugène Ysaye.

 

Les trois photos qui suivent, prises en 1962, montrent l’enfilage d’immeubles parallèles à ceux du boulevard Piercot (dont on voit d’ailleurs, sur la première, un building en construction) :

La photo ci-dessous date de 1973. Le paysage a bien changé. Les résidences Tour romane et Saint-Jacques ont été construites en 1965-66 :

 

Les trois bâtiments à gauche des buildings sont classés à l’inventaire du patrimoine immobilier wallon :
http://lampspw.wallonie.be/dgo4/site_ipic/index.php/fiche/index?codeInt=62063-INV-2343-01
http://lampspw.wallonie.be/dgo4/site_ipic/index.php/fiche/index?codeInt=62063-INV-2257-01
http://lampspw.wallonie.be/dgo4/site_ipic/index.php/fiche/index?codeInt=62063-INV-2596-01

 

L’église et le square en 1975.

 

 

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