Extrait de « Liège en poche », éditions de Rouck, entre 1963 et 1967.
Du pont de la Boverie au pont Kennedy
L’ancêtre du pont Kennedy est le pont de la Boverie. Cette appellation suggère l’idée de bœufs, de bovins. Autrefois, la rive droite auquel mène l’ouvrage présentait en effet un aspect fort champêtre. Les bras de l’Ourthe délimitaient des îles verdoyantes, connues pour leurs houblonnières, prés fleuris et pâturages.
Le premier pont de la Boverie est construit de 1834 à 1837, mais l’arche attenant à la rive droite s’écroule au bout de quelques mois, et il faut démolir l’ensemble.
L’illustration ci-dessus (1856) est le deuxième pont de la Boverie, bâti de 1841 à 1843. On l’appelle aussi le pont Neuf, car il est le second en date dans la chronologie des ponts liégeois, huit siècles après le vénérable pont des Arches.
Le pont Neuf avant 1859 (année de la démolition du pont des Arches que l’on voit à l’arrière-plan).
La société concessionnaire perçoit un péage jusqu’en 1883, année où l’État rachète le bien et instaure la gratuité de passage.
Ci-dessus, le pont de la Boverie (ou pont Neuf) avant 1903. Ci-dessous, le pont Kennedy en 1975 :
En vue de l’Exposition universelle de 1905, les autorités communales entreprennent divers chantiers pour moderniser ou embellir la ville. En 1903, on élargit le tablier du pont de la Boverie.
Ci-dessus, le tablier du pont avant 1903. Ci-dessous, les travaux d’élargissement :
Voici le pont élargi grâce à ses trottoirs en encorbellement. De l’autre côté de la Meuse, à droite du quai des Pêcheurs* (Van Beneden après 1920), s’ouvre la rue Grétry**.
* De nombreux pêcheurs de profession sont jadis établis à cet endroit, près du fleuve dont ils tirent leur subsistance.
** André Ernest Modeste Grétry (1741-1813), célèbre musicien d’origine liégeoise, auteur de nombreux opéras. Son cœur est conservé dans le socle de sa statue, située devant l’Opéra de Liège.
Le pont de la Boverie au début du XXe siècle, avec vue cette fois en direction de la rue André Dumont*. Au-delà des toitures, on distingue la flèche de la cathédrale Saint-Paul.
* André Dumont (1809-1857) : professeur de géologie, puis recteur de l’université de Liège. Il a sa statue place du Vingt-Août.
Ci-dessous, le même endroit en 2009 :
L’escalier, sur la droite de l’image, descend vers un double bassin de natation flottant, que l’on découvre sur la photo qui suit :
Installée à cet endroit dès les origines du pont, cette infrastructure est divisée en deux parties, séparant les hommes et les femmes.
Étrange piscine, située juste à côté d’un port pour péniches et bateaux-mouches, comme en témoignent les deux vues suivantes :
La façade néoclassique qui s’étire le long du quai des Pêcheurs est celle de l’institut de zoologie de l’université de Liège, bâtiment érigé de 1886 à 1889 selon les plans de l’architecte liégeois Lambert Noppius*, qui les a conçus en collaboration avec plusieurs professeurs dont Édouard van Beneden (le quai prendra ce nom en 1920).
*Lambert Noppius (1827-1889) est également le créateur de l’observatoire de Cointe, de l’institut d’anatomie et de l’institut de pharmacie (jardin botanique).
Les bains de la Meuse se disloquent en janvier 1922 à la suite d’une forte baisse des eaux. On les retrouve néanmoins rétablis sur cette vue prise juste avant la seconde guerre mondiale.
Épargné en 1914-18, le pont de la Boverie est dynamité en 1940. Il sera d’abord remplacé par une passerelle sur bateaux :
Puis, dès 1946, par un ouvrage « provisoire » constitué d’éléments métalliques pour le moins inesthétiques. Du provisoire qui va subsister plus de dix ans :
Ci-dessus, le pont métallique au milieu des années 1950. Ci-dessous, le contenu du rectangle rouge deux décennies plus tard :
C’est en 1958 que commence enfin la construction d’un nouveau pont de la Boverie (troisième du nom), œuvre de l’architecte liégeois Georges Dedoyard*.
* Georges Dedoyard (1897-1988), architecte moderniste, élève de Joseph Moutschen. On lui doit entre autres les bains de la Sauvenière (1942), le pont des Arches (1947), le Bon Marché de la place de la République française (1952), le pont Albert 1er (1957), la tour des finances (vers 1965)…
À côté du pont métallique provisoire, commence la construction du nouveau pont en béton.
La construction du pont et l’aménagement de ses abords entraînent de nombreuses démolitions. La rue André Dumont est amputée d’un tronçon (flèche rouge), et la bibliothèque communale des Chiroux* (flèche bleue) est visible vu la disparition des immeubles du quai Paul van Hoegaerden**.
* Les Chiroux, au XVIIème siècle, sont les aristocrates favorables à l’autorité du prince-évêque, en opposition aux Grignoux, petits bourgeois et gens du peuple, qui exigent davantage de libertés communales.
** Paul van Hoegaerden (1858-1922), conseiller communal et sénateur.
L’avancement du chantier de 1958 à 1960 :
Le nouveau pont de la Boverie est inauguré en 1960, mais l’aménagement de tunnels routiers se poursuit sur les quais de la Meuse :
Le pont de la Boverie (ou pont Neuf) est rebaptisé le pont Kennedy après 1963, en hommage au président américain assassiné à Dallas en novembre de cette année-là.
Le quartier Chiroux-Croisiers
Nous avons vu que bien des immeubles, dès la fin des années 1950, ont déjà été détruits dans le cadre de l’aménagement des abords du nouveau pont de la Boverie. Dans le courant des années 1960, ce qui reste de la rue André Dumont (trait vert) et de la rue des Croisiers (trait rouge) va disparaître à son tour. D’une part, il est question d’une voie rapide traversant le quartier de la rue André Dumont à la rue Bertholet (voir l’article sur l’avenue Destenay). D’autre part, une importante entreprise de construction obtient l’autorisation d’ériger là tout un complexe moderne comprenant une tour géante d’habitation.
Le couvent des Croisiers* en 1740 (gravure de Remacle Le Loup). L’église sera détruite en 1817, trente ans avant le reste des bâtiments monacaux.
* L’ordre des chanoines réguliers de la Sainte Croix (ou Croisiers) prend naissance dans le diocèse de Liège au début du XIIIe siècle. Au début, il s’agit d’un ordre à la fois religieux et militaire.
Ce montage indique l’emplacement de l’ancien couvent par rapport à la situation de 1964.
Dans le fond à gauche, ce qui subsiste de la rue des Croisiers vers 1961. Ci-dessous, le même endroit de nos jours :
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La rue André Dumont avant le chantier du pont Kennedy.
Début des années 1960 : la rue André Dumont d’antan n’est plus qu’un terrain vague.
La rue André Dumont et la rue des Croisiers en 1967.
La rue André Dumont en 1970, avec à droite, l’achèvement du nouveau centre culturel des Chiroux. Ci-dessous, le même endroit en 2014 :
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L’ancienne bibliothèque communale des Chiroux au milieu des années 1960. Cette façade est celle du côté de la rue des Croisiers. L’entrée se trouve rue des Chiroux, la petite rue sur la gauche, qui communique avec la rue du Méry.
À l’avant-plan, le site des Croisiers en 1966, avec vue en direction du pont Kennedy. Ci-dessous, en 2006 :
C’est la firme Solico-Demarche qui entreprend la construction de la tour Kennedy et des immeubles annexes. Le chantier dure de 1967 à 1970, selon les plans des architectes Jean Poskin et Henri Bonhomme. Les autorités communales ont cédé le terrain et accepté le projet du promoteur à condition que l’ensemble immobilier comprenne des bureaux, une nouvelle bibliothèque et un centre culturel avec salles de spectacles et d’expositions.
La construction de la tour Kennedy à la fin des années 1960.
Et pour terminer, une comparaison entre le site au milieu des années 1960 et au début des années 1970 :
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Bonjour,
Je découvre votre site et je le trouve tellement riche et pédagogique. En fait, je suis à la recherche d’une photo qui montrerait le magasin de mes arrières grands parents MEERTENS situé je pense rue André Dumont avant les travaux de démolition. Le magasin occupait un coin et donnait en partie sur la place des carmes. C’était une épicerie fine.
Je suis allée au Musée de la Vie wallonne mais je n’ai rien trouvé.
Peut être avez vous une vue où on pourrait voir cette section de rue?
Merci pour votre travail passionnant.
Sophie Jurdant
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Bonjour Madame, et merci pour votre appréciation.
Toutes les photos dont je dispose se trouvent dans cet article et celui sur la place des Carmes. Désolé de ne pouvoir vous aider davantage.
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Bjr, une petite précision : la rue des Chiroux ayant été supprimée, le promoteur s’est vu imposer par la Ville de Liège de réserver un passage public entre la rue des Croisiers et celle du Méry. C’est la galerie des Croisières.
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Bjr lire « galerie des Chiroux »
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La première gravure (1856) illustrant cet article ne serait-t-elle pas de Georges Ista ?
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