Outremeuse : le monument Tchantchès et un peu d’histoire du quartier

tchantchès liège.jpgCliquez ICI pour accéder à une page spécialement consacrée à la légende de Tchantchès, célèbre héros folklorique liégeois.

En 1914 déjà, l’écrivain liégeois Isi Colin propose d’ériger en Outremeuse un monument dédié à Tchantchès, mais la première guerre mondiale engendre d’autres préoccupations. La société « Le Vieux Liège » relance l’idée en 1922, et à la suite d’un concours, c’est le projet du sculpteur Joseph Zomers qui est retenu. Des problèmes financiers en retardent malheureusement la réalisation* : il faut attendre 1935 pour que l’échevin des travaux Georges Truffaut entame la procédure des travaux du monument, lequel sera inauguré le 27 septembre 1936. Le piédestal et son environnement ont été conçus par l’architecte Émile Bernimolin.

* Ce qui fait que Joseph Zomers, qui meurt en 1928 après avoir présenté l’esquisse de sa statue, ne verra jamais son œuvre définitive.

monument tchantchès 1936.jpg

La statue de Zomers représente une hiercheuse* qui brandit la marionnette de Tchantchès telle un flambeau de la liberté.

* Une hiercheuse, à l’époque des charbonnages, était une ouvrière chargée de pousser les wagonnets.

monument tchantchès_outremeuse_liege_2016.jpgoutremeuse_liege_bing maps.jpgLe monument (dans le cercle rouge) est situé près du rond-point dit du pont Saint-Nicolas (1), à l’intersection des rues Surlet (2) et Puits en Sock (3). Autres points de repère : le boulevard Saucy (4), la chaussée des Prés (5), le boulevard de l’Est (6) et la place de l’Yser (7).

Les quatre vues qui suivent nous reportent dans les années 1950-60 :monument tchantchès_outremeuse_liège_années 1950 (2).jpgmonument tchantchès_outremeuse_liège_années 1950.jpgmonument tchantchès_outremeuse_liège.jpgtchantchès policier.jpgComme Manneken-Pis à Bruxelles, Tchantchès possède des centaines de costumes offerts par des institutions officielles ou groupes folkloriques. Le voici intronisé policier en 1959.

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rond-point pont-saint-nicolas_outremeuse_liege_2016.jpg
Pourquoi la chaussée du rond-point s’appelle-t-elle la rue Pont-Saint-Nicolas ?

Comparons les deux vues qui suivent :pont saint-nicolas_outremeuse_liege_remont_1865.jpgbd saucy_liege_2016.jpg

La gravure ancienne, réalisée d’après un dessin de Charles Remont, représente le bief de Saucy* vers 1865, bras de l’Ourthe enjambé par le pont Saint-Nicolas. Les bâtiments à l’arrière-plan sont ceux du tout premier hôpital de Bavière, à l’emplacement de l’actuelle place de l’Yser. La photo contemporaine montre bien le même endroit, mais le site hospitalier n’existe plus, et le cours de l’Ourthe a été comblé depuis longtemps pour être remplacé par des voiries.

* Saucy, tout comme saussaie, dérive du bas latin saucetum et désigne un lieu humide planté de saules.

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Autrefois, le quartier d’Outremeuse est parcouru de nombreux bras de la Meuse et de l’Ourthe, lesquels actionnent des moulins. Cliquez ICI pour accéder au plan ci-dessus dans une meilleure résolution.

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Le plan ci-dessus a été réalisé en 1737 par Christophe Maire. Les eaux du bief de Saucy (1), en aval du pont Saint-Nicolas (2), se scindent pour former une île, sur laquelle le prince-évêque Ernest de Bavière a fondé, au début du XVIIe siècle, un hôpital que l’on a pris l’habitude de désigner de son nom (3).

Le pont Saint-Nicolas relie les rues Chaussée des Prés* et Puits-en-Sock*. Remarquons (toujours sur le plan ci-dessus) que le symbole d’un édifice religieux figure à l’entrée de l’ouvrage, à l’angle de la rue Chaussée des Prés et de la rivière. Il s’agit de l’ancienne église Saint-Nicolas-au-Pont, fondée au XIIe siècle et aujourd’hui disparue.

* Une famille de haut lignage, les « des Prés », habitaient jadis sur ces terres proches du pont des Arches.
** Le mot « puits » fait allusion à un puits d’eau potable qui desservait autrefois le quartier. On le disait «en Chok », appellation associée (mais je sais pas pourquoi) à diverses familles illustres des siècles passés.

plan_liège_1649.jpgCe détail de la gravure de Julius Milheuser nous montre le pont et l’église Saint-Nicolas en 1649. L’église participe au système défensif de la ville, avec sa tour servant de porte fortifiée, comme on le voit aussi sur cette peinture du journaliste et artiste liégeois Charles Bury (1895-1980) :

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place grétry_liège_outremeuse_fin XIXe.jpgL’église Saint-Nicolas-au-Pont est démolie en 1805 sous le régime français. En 1810, son emplacement est transformé en petite place que l’on décore de rangées d’arbres et que l’on inaugure l’année suivante. Un parapet la sépare du bras d’eau. Le conseil communal choisit le nom de place Grétry pour commémorer ce musicien liégeois (1741-1813) né rue des Récollets en Outremeuse. Le dessin ci-dessus nous reporte vraisemblablement au milieu du XIXe siècle. Voici le même endroit de nos jours (le pointillé rouge indique le tracé du pont disparu) :

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église des récollets_outremeuse_fin XIX.jpgÀ la suite du Concordat de 1801, c’est l’église des Récollets qui devient paroissiale et reprend le patronyme de Saint-Nicolas. Le document ci-dessus nous la montre au XIXe siècle, à l’époque des bras de l’Ourthe.

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Le même endroit sur une carte postale colorisée du tout début du XXe siècle.

église des récollets_outremeuse_liège_2016.jpgL’église Saint-Nicolas de nos jours. À côté, l’ancien couvent des Récollets a été totalement rénové et transformé en auberge de jeunesse.

pont saint-nicolas_outremeuse_liège_béthune_1850.jpgLe pont Saint-Nicolas et l’hôpital de Bavière en 1850 (Léon Béthune, Vieux Liège, recueil de vues rares et inédites, ouvrage paru pour la première fois en 1892).

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Au milieu du XIXe siècle, Outremeuse est un quartier populeux, insalubre et malsain. Une population miséreuse s’entasse dans des rues étroites et tortueuses, logée dans des taudis. Les bras de rivière sont devenus des égouts à ciel ouvert ; ils sont la cause de fréquentes inondations et épidémies.

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    http://donum.ulg.ac.be/handle/2268.1/1488

Ce plan a été dressé en 1852 par l’ingénieur en chef Kummer, des Ponts et Chaussées (cliquez ICI pour l’ouvrir au format PDF en meilleure résolution). Il présente ses projets de simplification du réseau hydrographique, comme le redressement de la Meuse en Avroy et la création d’une Dérivation du fleuve, chantier colossal qui durera de 1953 à 63 (voir autre article).

En Outremeuse, ce plan montre aussi le nouveau quartier de la place Delcour et des rues rectilignes qui y convergent. Subsistent hélas des biefs qui continuent à menacer la santé publique, comme celui qui suit le tracé des actuels boulevard Saucy (1), de l’Est (2) et de la Constitution (3).

En 1866, une épidémie de choléra tue 2630 Liégeois ; le quartier le plus touché est Outremeuse avec 765 victimes. En 1871, Hubert-Guillaume Blonden, directeur des Travaux publics de la Ville, lance un plan d’assainissement pour supprimer les bras de l’Ourthe et créer de nouvelles voiries équipées d’égouts. Les comblements débuteront en 1872.

blonden assainissant outremeuse 1871.jpgEn octobre 1871, le journal satirique liégeois « Le Rasoir » publie en couverture cette caricature de Blonden assainissant Outremeuse.

bief saucy_outremeuse_1870.jpgLe bief de Saucy vers 1870, deux ans avant le début de son comblement. Dans le fond, on aperçoit le pont Saint-Nicolas et l’ancien hôpital de Bavière. L’écluse, à gauche, permet une communication avec la Meuse (voir sur les plans anciens présentés plus haut).

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Le boulevard Saucy au début du XXe siècle. Une double rangée d’arbres existe depuis 1876.

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La même perspective de nos jours.

rues puits en sock et surlet_liege_outremeuse_debut XXe.jpgÀ l’angle des rues Puits-en-Sock et Surlet* au tout début du XXe siècle. Rappelons que c’est dans l’axe de la rue Puits-en-Sock que se trouvait autrefois le pont Saint-Nicolas.

* Cette rue n’est pas totalement achevée quand le conseil communal lui donne le nom, en 1846, de Louis le Vieux dit Surlet, riche bourgeois bienfaiteur des hospices au XIIIe siècle.

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L’église Saint-Pholien* vue en 1874 depuis le bief en cours de comblement (futur boulevard de l’Est).

* La tour de l’église Saint-Pholien a été érigée de 1835 à 1842 selon les plans de l’architecte Julien Rémont (la coupole qui la surmonte sera enlevée en 1893 pour des raisons de sécurité). Le corps de l’édifice est une réédification progressive de l’église précédente qu’il fallait agrandir, tâche confiée à l’architecte Évariste Halkin.

boulevard de l'est_liege_2016.jpg  L’église n’est plus la même, et son environnement a bien changé ! Le rectangle rouge représente le contenu de la photo précédente.

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Mais revenons-en à la situation du tout début du XXe siècle. Cette carte colorisée met en évidence l’ancienne église Saint-Pholien et la maison dite « Porquin », du nom de Bernardin Porcini, le banquier lombard qui l’a fait construire en 1570. Cette « maison » aux allures de demeure seigneuriale était située sur l’île circonscrite par les bras de l’Ourthe juste en aval du pont Saint-Nicolas (emplacement de l’actuelle place de l’Yser) ; elle a été acquise en 1583 par le prince-évêque Ernest de Bavière, qui l’a cédée en 1603 à la confrérie de la Miséricorde chrétienne pour en faire un hospice, l’hôpital de la Miséricorde bien vite surnommé l’hôpital de Bavière. La maison Porquin s’est rapidement vu adjoindre des constructions supplémentaires pour devenir un domaine hospitalier important. Si elle apparaît seule sur la carte postale, c’est que les autres bâtiments ont été démolis à l’extrême fin du XIXe siècle, après le déménagement de l’hôpital dans ses nouvelles installations des Prés Saint-Denis. Malgré les protestations des défenseurs du patrimoine, elle finira aussi par disparaître en 1904, la Ville ayant décidé d’aménager là une nouvelle place publique.

ponçay_liege_fin XIXe.jpgCette place publique en devenir, la photo ci-dessus nous la montre à la charnière des XIXe et Xe siècle. Les bâtiments de l’ancien hôpital ont été détruits, comme vont bientôt l’être les masures qui s’étendent de la rue Puits-en-Sock (l’immeuble désigné par la flèche en est l’actuel n° 5) à l’église des Récollets (église paroissiale Saint-Nicolas depuis 1804). Il y avait là, avant 1874, un bras de l’Ourthe et une impasse dite du Ponçay*. En 1908, la place prend le nom de place de Bavière, et la voirie qui la borde dans le prolongement du boulevard Saucy est baptisée la rue Henri de Dinant**.

* Ponçay est la forme wallonne de ponceau, qui provient du latin pons. Il s’agirait du nom donné à une partie de l’ancien pont Saint-Nicolas.
** Henri de Dinant, bourgmestre de Liège au milieu du XIIIe siècle, s’est opposé au prince-évêque Henri de Gueldre.

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La rue Henri de Dinant de nos jours.

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Le quartier d’Outremeuse sur le plan de Blonden en 1880. Les boulevards Saucy, de l’Est et de la Constitution ont remplacé les biefs de l’Ourthe. Le premier hôpital de Bavière est toujours là, et des pointillés représentent des voiries en projet, comme les rues Ernest de Bavière et Henri de Dinant, qui seront réalisées en 1907-1908 pour délimiter la future place de Bavière.

église saint-pholien_outremeuse_fin XIX.jpgL’église Saint-Pholien à la charnière des XIXe et XXe siècle, près de la jonction entre les boulevards de l’Est et de la Constitution.

pont lépopold_liège_tt début XXe.jpgDécouvrons les lieux depuis le pont des Arches (qu’on appelle aussi le pont Léopold à l’époque). Les autorités communales rêvent de créer une large artère rectiligne pour relier ce pont et les nouveaux boulevards conquis sur l’Ourthe.

place st-pholien_outremeuse_liège_tt début XXe.jpgLa place Saint-Pholien à l’aube du XXe siècle. Certes, l’ancienne rue Derrière Saint-Pholien, devenue rue Saint-Pholien, a été rectifiée et élargie au-delà de l’église, mais il est évident que celle-ci obstrue le passage. Comme l’édifice présente un état de délabrement prématuré, dû à des malfaçons, il est décidé d’en reconstruire un autre à l’écart de la chaussée, conformément à un nouveau plan de voirie.

rue st-pholien_liège_2016.jpgLa place et la rue Saint-Pholien de nos jours. Cette dernière a été conçue dès la fin du XIXe siècle pour devenir l’entrée principale vers Outremeuse, en remplacement de la rue Chaussée des Prés (la flèche).

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La rue Chaussée des Prés au début du XXe siècle ▲ et de nos jours ▼

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églises saint-pholien_outremeuse_liège_1910.jpgC’est dès 1910 que l’église Saint-Pholien du XIXe siècle est démolie et que commence la construction de sa remplaçante, conçue dans le style néogothique par l’architecte Edmond Jamar.

place de l'yser_liege_debut XXe.jpgLa nouvelle église Saint-Pholien a été consacrée en mai 1914. Quant à la place de Bavière, elle a été rebaptisée place de l’Yser en 1918, en commémoration des soldats morts sur ce front pendant la première guerre mondiale.

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Le même endroit de nos jours.

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En face du boulevard de l’Est, débute le boulevard de la Constitution.

barbou_liege_1861.jpgLe bief devenu le boulevard de la Constitution s’appelait le Barbou, que le document ci-dessus représente en 1861. À la suite du bief de Saucy, ce bras de rivière était jadis un cours d’eau où l’on s’adonnait beaucoup à la pêche. Le terme « barbou » est à rapprocher de « barbeau », le poisson de rivière.

barbou_outremeuse_XIXe.jpgDessin du Barbou en 1872, juste avant son comblement (le chantier durera jusqu’en 1876). Remarquons les installations de pêche. On parle pourtant, à l’époque, de cloaques infects qui reçoivent les immondices du voisinage !

boulevard de la constitution_liege_1904.jpgLe boulevard de la Constitution au début du XXe siècle. À gauche, on voit l’entrée d’une caserne de lanciers*. Dans le fond à droite, à l’angle que forme le boulevard avec la rue des Bonnes Villes, on aperçoit une des tourelles du nouvel hôpital de Bavière inauguré en 1895.

* Les bâtiments de la caserne Fonck sont aujourd’hui occupés par l’ESA Saint-Luc (école supérieure des Arts).

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L’hôpital de Bavière à la charnière des XIXe et Xe siècle.

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19 commentaires sur “Outremeuse : le monument Tchantchès et un peu d’histoire du quartier

  1. Bonjour,
    Je n’ai pas tous les mots pour vous féliciter pour votre travail.
    C’est passionnant. Merci.
    Ce qui me choque fortement, c’est ce qui c’est passé et ce qui ce passe sur la place de l’Yser.
    Démolir un bâtiment du XVI eme pour faire une place, ensuite construire un théâtre à bas prix, ne pas l’entretenir et le démolir pour faire ce qui se construit actuellement, franchement, depuis plus d’un siècle il y a des choses qui ne tournent pas ronds à Liège.

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  2. Un tout grand merçi pour votre travail (ou votre passion)sur Outre-Meuse et Liege dans tout les cas de figures.
    Je suis rester presque une journée entiére sur votre blog ou j’ai appris énormément de chose grace a vous qui de plus, étaient passionnante.
    Un tout grand merçi.

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  3. Bonjour, Très chouette iconographie. J’ai eu une librairie Bvd Saucy mais la seule photo actuelle est barrée par un parasol. Difficile de tout resituer sur les cartes anciennes. Merci pour cette mise en perspective.

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  4. Super travail! Nous allons utiliser ces sources et ces photos pour travailler sur l’histoire du quartier de notre école Robert Brasseur rue Jean d’Outremeuse

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  5. beau travail! moi qui n’ai aucun sens de l’orientation, je trouve souvent les livres de cartes anciennes difficiles à suivre, là, j’ai l’impression d’une visite guidée pas à pas. Très instructif et bien écrit!

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  6. Vos articles sont vraiment bien écrits. J’y ai appris beaucoup de chose et ai pu voir certaines preuves de notre passé via vos photos. Je me souviens avoir vu au niveau de la place Saint-Lambert pendant les trous du chantier du tram certaines trace en sous-sol des anciennes voieries (pour certaines à 1m de profondeur). Notre ville à un fameux passé historique que votre Blog met en lumière. J’ai régulièrement, pour agrémenté ma lecture de vos articles, été voir sur google Maps en mode 3d et me suis fait la réflexion qu’il est dommage qu’il n’y ai pas d’option de reconstitution 3D des anciennes cartes selon les époques. Visuellement, ce serait génial.

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  7. Superbe travail, Monsieur Warzée! Et votre comparaison vues d’hier et vues d’aujourd’hui m’apporte un fameux éclairage sur l’évolution de la ville.
    Merci beaucoup!

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