Cette vue prise depuis le pont de Fragnée nous permet de situer le parc de la Boverie* (1), situé entre la Meuse (2) et sa Dérivation (3) ; il est relié au quai Mativa (4) par le pont** du même nom (5).
* Le lieu tient son appellation des bovidés qu’on faisait paître autrefois dans cet environnement champêtre.
** On dit souvent la passerelle Mativa vu son usage réservé aux piétons et cyclistes. On l’appelle aussi, nous l’expliquerons plus loin, le pont ou la passerelle Hennebique.
Le quai Mativa a été aménagé à la suite des grands travaux de la Dérivation de la Meuse (voir autre article) ; on l’a baptisé ainsi en 1857, en souvenir du pré Mativa, site champêtre qui attirait autrefois les promeneurs recherchant la quiétude. L’appellation « Mativa » est très ancienne ; elle proviendrait de la contraction des mots wallons « Mathî » et « vå », le « Val de Mathieu » (du nom d’un propriétaire local au Moyen Âge).
Le plan ci-dessus est proposé en 1852 par l’ingénieur Kümmer pour illustrer les modifications qu’il compte apporter au cours de la Meuse. Le chantier titanesque de rectification et de dérivation du fleuve va durer de 1853 à 1863. J’ai indiqué d’une croix rouge l’emplacement du pré Mativa.
Sur ce plan de 1885, on remarquera qu’une grande partie de la Boverie a été réaménagée en espaces verts, avec un jardin d’Acclimatation (marqué du nombre 58, voir autre article) et un parc public compensant la disparition du pré Mativa. En cette fin du XIXe siècle, les terrains de la Boverie se terminent en cul-de-sac (le cercle rouge), sans communication avec Fragnée ou les Vennes.
Le quai Mativa à la fin du XIXe siècle ▲ puis le même endroit (dans le cadre rouge) de nos jours ▼
C’est en 1863 qu’on a planté la double rangée d’arbres et installé les bancs publics.
À la naissance du XXe siècle, le lieu présente toujours un charme bucolique, même s’il devient un quartier résidentiel bourgeois.
Le quai Mativa en 1954, 1975 et 2007 :
Dans l’autre sens au début des années 1970 :
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Nous voilà revenus à la charnière des XIXe et XXe siècle. Les arbres du quai Mativa, on les retrouve à l’arrière-plan droit de la photo qui suit :
Dans le fond, on voit la Dérivation avant l’existence du pont Mativa. Nous sommes en 1903. Le chantier, à l’avant-plan, est celui de la rectification du cours de l’Ourthe. La plaine des Vennes, en effet, subit d’importantes modifications en vue d’accueillir une partie de l’Exposition universelle et internationale prévue pour 1905 (voir cette autre publication).
La même perspective pendant l’Exposition, d’avril à novembre 1905. À droite, le bâtiment qui longe le quai Mativa est le palais de l’Alimentation française. À gauche, on aperçoit l’Union nautique, club d’aviron installé à la pointe de la Boverie depuis 1873.
Plan de l’Exposition universelle de 1905. Le pont Mativa (1) est l’un des trois ponts construits à cette occasion, les deux autres étant les ponts de Fragnée (2) et de Fétinne (3). Il permet un passage immédiat entre le quartier des halls établi aux Vennes (4) et celui des palais situé dans le parc de la Boverie (5).
Le projet initial prévoit un ouvrage provisoire en bois, mais le comité exécutif de l’Exposition, prévoyant le développement futur du quartier des Vennes, opte finalement pour un ouvrage définitif. Lorsqu’il s’agit de trouver un entrepreneur capable de réaliser le travail en un délai très court, le choix se porte sur la filiale belge de la société française Hennebique*.
* Du nom de son fondateur, François Hennebique (1842-1921), qui a conçu et fait breveter un système de construction en béton armé.
Commencé en décembre 1904, le pont Hennebique (on l’appelle souvent ainsi, du nom de son concepteur, même si son appellation officielle est « pont Mativa ») sera terminé en avril 1905, une semaine avant l’inauguration officielle de l’Exposition. La photo ci-dessus montre l’opération de boisage en janvier 1905.
Certaines cartes postales souvenirs de l’Exposition proposent des vues prises pendant les travaux d’aménagement, comme celle-ci avec le pont en cours de construction.
Des soldats traversent le pont au pas cadencé. La manœuvre fait partie des épreuves de mise en charge effectuées en avril 1905, avec aussi des passages de rouleaux compresseurs et de chariots remplis de fonte.
Il s’agit d’un des tout premiers ponts en béton armé, admiré pour sa technicité et son élégance. D’une longueur totale de 80 mètres, il franchit la Dérivation en une seule travée de 55 mètres. La faible épaisseur du tablier à la clef est impressionnante.
Vu l’intérêt historique, technologique et esthétique de l’ouvrage, celui-ci a été classé le 4 mai 2016 par Maxime Prévot, ministre wallon du Patrimoine.
Les garde-corps et les supports d’éclairage sont d’époque (à l’exception des parties supérieures des lampadaires qui ont été modifiées quand l’électricité a remplacé les brûleurs au gaz).
Quelques photos prises pendant l’Exposition :
Avec l’embarcadère des gondoles vénitiennes et le palais de la ville de Liège (la flèche dans les feuillages).
Le tramway que l’on aperçoit sur le pont* est en réalité un petit train Decauville qui permet visiter l’Exposition.
* À cette époque, l’ouvrage fait vraiment office de pont avec le passage de véhicules ; il y a longtemps qu’il ne sert plus que de passerelle.
La double voie ferrée du tramway touristique.
Cette double voie se retrouve sur le tronçon du quai Mativa qu’il faut emprunter pour transiter des Vennes à la Boverie.
Autre souvenir de l’Exposition : ce morceau de temple grec (inspiré par celui d’Agrigente, en Sicile), décor réalisé par la firme Hennebique à proximité du pont qu’elle vient de construire.
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Le pont Mativa après l’Exposition.
Le confluent Ourthe-Meuse au début du XXe siècle, avec la maison du barragiste (et non l’Union nautique, voir série 5 de cette page).
Le même endroit en 1968, pendant le chantier du pont Zénobe Gramme sur l’Ourthe (voir autre article).
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Claude, merci pour la perspicacité de tes recherches et tous les documents intéressants que tu nous fais découvrir. Heureux d’avoir pu modestement y contribuer.
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Merci, Benoît, pour ton commentaire.
Merci aussi pour ton aide dans la recherche des photos d’archives.
Amitié. Claude.
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Très bonne recherche bonne continuation.👍
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Très bons articles comme
d’habitude, c’est toujours un réel plaisir de vous lire et de plonger dans le passé vos photos permettent très bien de se situer à travers les époques… merci
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Très bel article. Je regarderai ce pont différemment. J’ignorais qu’il était plus que centenaire.
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